Echappées, Série

Echappée #118 : Years and years

  • Catégorie : Série
  • Titre : Years and years
  • Casting : Emma Thompson, Russeel Tovey, Anne Reid, Rory Kinnear, T’Nia Miller, Jessica Stevenson, Ruth Madeley

Je parlais séries avec un ami et Years and years est revenu dans la conversation. Elle faisait partie de ma Watchlist depuis un looooong moment. J’ai attaqué hier soir. Je suis allée me coucher très mal après 4 épisodes. J’ai fini aujourd’hui (ouf… enfin). Je vous raconte car ça ne doit pas rester dans les placards.

Au programme : de la fiction prédictive, une rhinocérite générale et des petites bassesses humaines… youpi !

Cette série, sortie en 2019, raconte l’histoire des Lyons, une famille de Manchester, sur une période de 15 ans. Cette famille plutôt moderne comprend donc :

  • Muriel, la grand-mère et matriarche de la famille, qui réunit au moins une fois par an la famille
  • Edith, l’ainée, qui est une activiste ultra engagée, partie au bout du monde au début de la série
  • Stephen, un gentil banquier avec sa sublime femme Céleste et ses 2 filles dont Bettany qui souhaite devenir trans-humaine.
  • Daniel, agent de l’Etat qui aide au logement des demandeurs d’asile, dont un ukrainien Viktor dont il tombe amoureux
  • Rosie, mère de deux enfants de deux pères différents essayant de s’en sortir.

Un événement mondial va faire basculer leur petit monde. Effondrement d’un système et mise en place d’une chute… C’est à cela qu’on assiste en 6 épisodes…

La première chose qui m’a frappée, c’est le futur imaginaire que prédit cette série. Cette série est sortie je le rappelle en 2019. Et c’est effrayant le nombre d’éléments qui semblent follement réalistes.

Le Brexit bien qu’ayant été voté en 2016 par les Britanniques n’a pris officiellement effet en janvier 2020 après plusieurs reports. On en voit les effets dans la série à différents niveaux.

Dans la série, Viktor, qui demande asile en Angleterre, a dû fuir l’Ukraine car homosexuel et dénoncé par sa famille. Dans notre réalité, c’est plutôt son voisin russe qui est profondément contre l’homosexualité avec de nombreux camps pour remettre dans le droit chemin ces brebis égarées. Ces thérapies de conversion a priori extrêmement violentes sont interdites en France (pour le moment et pourvu que ça dure). Mais force est de constater que de plus en plus de pays reviennent sur des acquis et malmènent les populations LGBT.

Le dernier élément c’est l’utilisation des AI pour diffuser des fake news, mettant dans la bouche de certains politiques des phrases qu’ils n’ont pas dites. La circulation de fausses informations accélèrent le manque de lisibilité de l’informations. Qui croire ? Et avec les évolutions rapides de Midjourney, tout sera bientôt à porter de n’importe qui.

Cela me rappelle la série The newsroom, sortie pour le coup en 2014 (donc il y a 10 ans). Dans cette série on suit Will McAvoy, grand présentateur de JT, essayant de redresser la barre après une sortie de route. Son émission est en chute libre. Mais grâce à son ancienne productrice, ils vont remonter un show qui traite vraiment de l’actualité. Je me souviens dans la saison 2 qu’il était question de bombardement en Syrie, pour de fausses raisons etc. Et cette actualité s’était révélée totalement exacte… Quand la fiction rejoint la réalité…

Dans Years and years, ce sont plein de petites touches dans la série qui la rendent furieusement crédible : et si une bombe atomique était lancée quelque part, et si l’intelligence artificielle permettait de créer des fake news, et si les banques s’effondraient, et si l’extrémisme montait etc…

Le fil rouge dans la série est la montée lente mais inéluctable de la politicienne Vivienne Rook. Au départ, elle échoue lamentablement mais petit à petit, elle reprend du poil de la bête et de l’influence. Elle gagne d’abord une première petite élection. Puis, elle se rend sympathique. Elle participe à des shows où elles ne se prend pas au sérieux sur sa chaîne TV, pour montrer que c’est une personne lambda. Son image est partout. Puis arrive le moment où les 2 grands parties britanniques sont à égalité et malgré leurs nombres de sièges bien supérieurs, la bascule se fera grâce au partie de Vivienne Rook…

Ce qui est effrayant, c’est que du départ, les personnages sont clivés sur Vivienne : certains pensent que c’est un monstre, d’autres, une sauveuse. Et là où elle ne parait pas bien méchante au départ va vite disparaitre pour montrer le pouvoir de transformation qu’elle a.

J’avoue que cela résonne fortement avec ce qui se passe en France. Je m’interroge sur l’avenir politique. En donnant de plus en plus la parole aux extrémistes de droite, en laissant de plus en plus la sympathie pour certaines idées s’exprimait librement sur les plateaux télés (de plus en plus possédés par de grands groupes privés dont la ligne éditoriale est assez claire), en méprisant une partie de la population toujours plus nombreuses, en se gavant ouvertement face à ceux qui crèvent la faim, nous laissons une porte ouverte et un siège à prendre pour des idées et des personnes qui me semblent dangereuses…

Cela me rappelle l’émission disponible sur Youtube, lancée par Lumi et Usul, sur Blast, média indépendant : Rhinocéros. Si l’émission s’appelle comme ça, c’est en référence à la pièce éponyme de Ionesco sortie en 1959. Dans cette pièce, au fur et à mesure des actes, les personnes se transforment en rhinocéros. Au début, ils font trembler les murs, écrasent des personnes sur leur passage, mettent le bazar. ça dérange et ça inquiète au début. Mais au fur et à mesure, on s’habitue, voire on se demande si ils n’ont pas raison eux, d’être des rhinocéros. Et petit à petit tout le monde se transforme en rhinocéros, pour faire partie du groupe, du mouvement, ne laissant que quelques personnes pour résister au risque de se faire écraser...

Il ne faut pas oublier que dans la pièce de Ionesco, la rhinocérite, maladie qui transforme les humains en rhinocéros, c’est l’extrémisme concrètement. La pièce montre que malgré l’éducation, les préjugés, l’amour de l’ordre n’empêche pas de basculer et que la lâcheté y participe également.

Ce qui m’a fait le plus froid dans le dos c’est la bêtise humaine. A coup de petite vengeance, de petite lâcheté, on ruine la vie d’autres personnes. Cela me rappelle le principe de Crime de bureau, dont je vous parlais dans « Fleurs de soleil« . Le principe que la responsabilité de l’horreur est tellement diluée à travers tant de personnes qu’on ne sait plus qui est vraiment à l’origine : si un voisin meurt de maladie dans un camp d’internement, parce qu’il y a été emmené par la police, parce qu’il est rentré illégalement sur le territoire, parce qu’il a dû fuir un état voisin qui ne le protégeait plus, parce que sa demande de permis de séjour a été refusée initialement quand il était légalement dans votre pays et qu’il a été renvoyé dans son pays où la peine de mort l’attend, parce qu’il a été au départ dénoncé comme travailleur non déclaré dans votre pays par vous… Est-ce que vous êtes responsable et/ou coupable de sa mort ? Techniquement non, ce n’est pas vous qui l’avait tué. C’est le système… Pourtant…

Et ce qui m’a le plus atteint c’est un des discours de la grand-mère : nous sommes tous responsables de ce qui arrive. De la disparition des caissières au profit des machines, de la montée d’extrémisme etc… Nous sommes responsables car que faisons-nous contre ? Comment exprimons-nous notre désaccord ? En avons-nous seulement envie ? Parce qu’après tout, ces machines sont bien utiles… Et puis après tout une bonne guerre c’est ça qu’il faut, ou du changement, mettre un bon coup de fourche parmi ces énarques… Nous y participons et ça me fait peur. Parce que notre individualisme nous enferme dans notre petit confort. Que faura-t-il pour qu’on se réveille ? Qu’est-ce nous fera nous lever et résister ? Jusqu’où faudra-t-il qu’on aille ?

Je dis ça d’autant plus parce que je fais parti des chanceux : je suis certes une femme, mais éduquée, blanche, relativement financièrement indépendante et de la classe moyenne, française, née en France, hétéro-cisgenre… Avant que ça sente le roussi pour moi, il y aura eu bien des minorités qui y seront passées avant. Mais alors quoi ? Est-ce que je vais regarder faire ? Qu’est-ce que je FAIS actuellement ? Car après tout, le patriarcat opprime déjà mon genre. Mais comme je n’en souffre pas trop, je ne me révolte pas trop. Que faudra-t-il pour que je m’enflamme ? Pour que nous nous enflammions ?

La peur de l’inconnu, de l’après, de ne pas savoir ce qu’on pourrait mettre en place et si ça serait vraiment mieux justifie-t-elle l’inaction ? Est-ce que j’aurais le courage ?

Clairement, si vous avez une petite forme et que la collapsologie vous angoisse, évitez cette série. J’ai hésité entre ça et la Reine des Neiges 2 et je vous avoue qu’au moment d’aller me coucher, je regrettais un peu d’avoir commencer ça…

C’est extrêmement bien réalisé (même avec l’aspect robotique et informatique !) donc hyper hyper crédible et réaliste. C’est ce qui m’a mise si mal à l’aise. Parce que c’est prophétique comme série. La question qui me taraude comme vous avez pu le voir c’est : sera-t-on capable d’empêcher ça ?

Sur ce, je vais aller me balader et profiter du soleil. Promis, j’essaierais une échappée plus joyeuse la prochaine fois…