Echappées, Film, Théâtre

Echappée #113 : Les poupées persanes

  • Catégorie : théâtre
  • Titre : Les poupées persanes
  • Casting : Aïda Asgharzadeh, Juliette Delacroix, Kamel Isker, Azize Kabouche, Toufan Manoutcheri, Sylvain Mossot

Cela fait de longs mois que je n’ai pas écrit ici. Pas le feu, pas de quoi raconter, pas de lien qui se faisait, pas d’échappée qui en vaille la peine… Bref, un silence qui vient de se briser avec cette merveilleuse sortie. A l’occasion d’un passage par Paris, une soirée théâtre comme on les aime à la découverte du douceur inattendue : Les poupées persanes.

« Yeki boud, yeki naboud.” Le « il était une fois » perse ouvre les portes de notre imaginaire pour un conte qui va tenir le public en haleine pendant plus d’1h30.

C’est l’histoire de 4 étudiants à l’université de Téhéran dans les années 70, en plein dans la révolution iranienne, de la chute du Shah et de l’arrivée au pouvoir de la République islamique.

C’est l’histoire de 2 sœurs en France, pas très enthousiastes d’être coincées dans un chalet à la montagne avec leur mère et son patron Jean-Farouk pour fêter le passage à l’an 2000.

C’est l’histoire aussi, en filigrane, d’un amour fort et puissant, presque fou; celui de Bijan et Manijeh, couple mythique des légendes perses.

Nous sommes transportés par ces 6 merveilleux acteurs et actrices en Iran et dans ce chalet de montagne grâce à un jeu malin de décor. Mais plus que la mise en scène, c’est toute l’histoire qui nous fait rire et pleurer, traverser de nombreuses émotions, alors qu’on nous raconte une aventure grave. Celle d’une révolution, d’une oppression, de la peur, celle de jeunes esprits en colère, d’amour perdu ou retrouvé, transmis ou retenu… Bref c’est fin, c’est beau, c’est drôle, c’est dynamique, c’est instructif. Une pépite que je suis heureuse d’être allée voir.

Forcément, comment ne pas penser à Persepolis quand on pense à l’histoire iranienne ? Ce magnifique film animé, adapté de la bande dessiné de Marjane Satrapi, sorti en 2007, retrace la jeunesse de l’autrice/réalisatrice dans l’Iran des années 70 jusqu’aux années 2000, après une période passée à Vienne, loin de la guerre. Donc presque à la même époque que les Poupées persanes.

Loin d’être une experte, voici ce que j’en ai retenu. Jusqu’en 1979, c’est le Shah Mohammad Reza Pahlavi qui dirige le pays. La colère gronde au sein du peuple car il laisse les occidentaux piller les ressources du pays (le pétrole en particulier) et malgré une certaine liberté, une partie de la population est opprimée. Les manifestations se multiplient jusqu’au 16 janvier appelé « Vendredi noir » où l’armée tire sur la foule. ç’en est trop…

Khomeiny en profite pour renverser le Shah en février 1979. Et c’est finalement son parti de « la République islamique » qui remporte le referendum en mai, entrainant au passage la mort de nombreux opposants. Pourtant les iraniens sont plutôt enthousiastes du changement de régime au départ et y voit une opportunité de progrès.

Pour en rajouter une couche, une guerre entre l’Irak et l’Iran commence, faisant plusieurs centaines de milliers de « martyrs » iraniens. La ville de Téhéran est bombardée régulièrement.

Bref, c’est clairement l’enfer là-bas. Et cette fameuse République réduit les droits des iraniens à peau de chagrin tout en clamant défendre la mémoire des martyrs du précédent régime et de la guerre. Les femmes doivent sortir couvertes, le voile est obligatoire, la musique est interdite, l’alcool prohibé, les jeux de cartes aussi… Bref tout ce qui permet au peuple de s’amuser, vivre, est interdit. Pour surveiller le peuple, des milices appelés « gardien de la révolution » veillent au grain.

Je condense et j’en oublie sans doute beaucoup. Je n’en saisis pas tous les aspects mais au moins ça remet un peu de contexte.

Et ce sont particulièrement les femmes qui trinquent comme nous le montre cette vidéo d’extraits du film Persepolis.

Enfin ce n’est pas qu’une histoire de sexisme. Et ça, c’est Victoire Tuaillon qui nous l’explique dans un de ces épisodes du podcast « Les couilles sur la table » avec son invité Chowra Makaremi, anthropologue au CNRS (Centre National de Recherches Scientifiques) autrice de l’essai Femme ! Vie ! Liberté ! Échos d’un soulèvement révolutionnaire en Iran (éd. La Découverte, 2023). Je vous raconte.

Cela n’est pas sans rappeler non plus les évènements de l’année dernière. Automne 2022, l’Iran s’enflamme à nouveau après l’assassinat de la jeune kurde Jina Mahsa Amini, suite à ses blessures infligées par la police de la moralité pour avoir mal mis son voile. Le mouvement se diffuse dans tout le pays, à toutes ses régions et à toutes les classes. Ce n’est plus seulement une lutte des droits des femmes mais aussi la réclamation du renversement du gouvernement actuel qui se diffuse.

Victoire Tuaillon, autrice du podcast « Les couilles sur la table », invite Chowra Makaremi pour revenir sur ce mouvement « Femme ! Vie ! Liberté ! ». Ce slogan kurde à l’origine, a été repris par tout l’Iran. Et ce que je retire du podcast, c’est que ce n’est pas seulement une histoire de lutte féministe mais que c’est bien plus général.

Bien sûr, il y est d’abord question des femmes. Il est vrai qu’on réduit souvent cette bataille au port du voile. Mais ce n’est pas tant le port du voile que son obligation à être porté qui pose problème pour commencer. Dire comment les femmes doivent s’habiller (ou se déshabiller dans nos sociétés occidentales) revient à faire du corps des femmes un terrain politique et idéologique. Toutefois, au-delà du corps des femmes, ce sont aussi tous les droits qui leurs sont refusés étant considérées comme des mineurs à bien des égards, dépendant d’un homme, mari, père, frère… C’est plutôt là-dessus que les femmes iraniennes se battent.

Ensuite, dans le cri « Vie ! » c’est bien sûr contre les violences étatiques et comme l’explique le podcast paraétatiques etc. Il y a cependant aussi une vision plus globale de la vie, sous toutes ces formes et pas seulement humaines. En effet, il y a aussi des idées écologiques qui sous-tendent cette lutte. L’accaparement de certains ressources et l’exploitation de celle-ci au profit d’un petit nombre n’est plus acceptable. L’Iran est le 3ème pays au monde à construire des barrages mettant en péril tout un écosystème. Cela n’est qu’un exemple pour dire que la lutte est bien plus vaste.

Enfin, derrière le terme « Liberté », reste le droit de chacun, hommes et femmes, quelque soit leur origine ou leur classe d’avoir les mêmes droits. Car ce qui ressort du podcast, c’est que de nombreuses inégalités perdurent et certaines populations, considérées comme de secondes zones, sont exploitées elles aussi.

C’est donc une lutte qui anime le pays depuis plus d’un an. Et ce slogan a lui-même été repris pendant les manifestations de ce week-end, le 25 novembre, à Paris entre autre contre les violences faites aux femmes.

Il est toutefois bon de creuser le sujet et d’aller lire différents aspects de cette histoire et culture car il semble que ce pays soit tout en contraste et parfois en paradoxe.

Je vous mets le podcast complet si vous voulez l’écouter et vous faire aussi votre idée.

https://embed.acast.com/aa928f4a-8155-4b36-b190-4dfd32da8a84/651feeb17bacb400111bc86f

Pour finir sur une note un peu plus douce, et revenir à notre échappée du jour, la pièce des Poupées persanes commence avec la formule perse consacrée « Yeki boud, yeki naboud.” (Il y avait quelqu’un, il n’y avait personne), l’équivalent de notre « Il était une fois ».

Cette petite formule est essentielle pour mettre l’auditoire dans une attitude bien particulière : celle de tendre l’oreille à une histoire, celle de suspendre le jugement et de s’ouvrir au fantastique, à l’irréel, à l’imaginaire. Suspendre le jugement, c’est ne plus chercher la véracité, l’exactitude, l’historique mais rester ouvert à ce qui va être raconté. Je repense à une conteuse de la forêt de Brocéliande qui s’en servait comme d’une formule magique pour commencer ses histoires. Il est question d’une « formulette » comme on le dit dans le domaine du conte.

En effet, la formulette permet de donner un statut à celui qui raconte, celui de conteur, et à l’histoire qui est dite, celle de conte. En laissant planer le doute sur la véracité de l’histoire, c’est aussi une licence pour le conteur de sortir du vrai, ce qui est bien pratique pour raconter des histoires inventées autour de faits réels.

Et la Perse est une des nations expertes pour les contes, étant à l’origine de nombreuse histoires, dont celles par exemple des Milles et une Nuits. Contes enchassés dans d’autres contes qui permettent à la belle Shéhérazade de survivre une nuit de plus.

Quant à l’histoire de Bijan et Manijeh, il en existe de nombreuses versions et de nombreuses adaptations dont la création d’Hamid Rahmanian qui semble sublime dans sa réalisation :

Ce conte nous dévoile l’histoire de Bijan, un héros iranien, qui tombe fou amoureux de Manijeh, fille du roi d’Afrasiab. Malheureusement, lorsque leur amour est découvert, Bijan est contraint à l’exil. Malgré la distance et de nombreuses aventures, les deux amoureux se retrouvent pour le meilleur. Une parfaite happy end comme on les aime.

Et lorsqu’on connait mieux ce conte, on apprécie d’autant plus les Poupées persanes et sa lecture croisée de chaque histoire.

Cela faisait du bien de retourner au théâtre, qui plus est pour une douceur pareille. J’ai vraiment apprécié comment la pièce nous fait passer du rire aux larmes, nous parlent de choses universelles comme l’amour à des choses bien plus spécifiques comme l’Histoire de l’Iran. Ca a été pour moi l’occasion de me plonger dans l’Histoire de ce pays, riche et complexe, malheureusement encore opprimé. C’est un appel à l’ouverture que ce conte propose et que je suis ravie de relayer.